lundi 28 avril 2014

Journée ordinaire de Nyati, un garde congolais de Capetown


 
Milnerton est un faubourg de la ville de Capetown, en Afrique du Sud. Situé au bord de l’Océan Atlantique,  il est très apprécié pour sa lagune, son Beach avec vue sur la célèbre chaine de montagnes "Table Mountains" ou encore sa réserve naturelle qui attirent de nombreux touristes.

Habité en majorité par les Blancs et des Coloureds [les métis], il faut se diriger au Nord, vers Table View pour rencontrer à mi-chemin deux townships Noirs : Joe Slovo et Dunoon. Des hôtels, des chaines de magasins, des restaurants, des stations d’essence et des flats s’étalent au bord de la voie qui va de Maitland vers Table View. C’est sur un site de 1000m2  situé à Milnerton que la société de surveillance "Byers Security & Associate" a affecté Nyati, 35 ans, qui y travaille en night shift pour un salaire mensuel de R4000 (400$)

 
Mis face à face, le quartier Ozone dans la commune de Ngaliema à Kinshasa d’où il est venu trois ans plus tôt et Milnerton, c’est comme le jour et la nuit. Mais de la beauté de Milnerton, il n’en a cure. A vrai dire, il ne la remarque même pas. Quand on lui demande pourquoi, il répond ainsi: " Le lieu où vous êtes né, c’est comme les êtres que vous aimez : vos parents et vos enfants par exemple. Vous les aimez non pas à cause de leur aspect physique, mais à cause de ce qu’ils représentent pour vous, et ils n’ont pas de prix à vos yeux. Pour rien au monde, vous ne les échangerez contre autre chose ! "

 
Ce matin, sa seule préoccupation est d’arriver à temps au quartier Koeberg, à Maitland où il réside et voir ses filles de 6 et 8 ans avant qu’elles ne se rendent à Belleville, à leur école. Elles étudient à une distance d’environ une demi-heure de train. Pour cela, elles sortent de chez-elles  avant même que leur père n’y arrive vers 6h30. Mais voilà quatre jours qu’il ne les a pas vues. "Les voir sourire et les entendre jouer et gambader sur la pelouse me suffit pour retrouver la joie de vivre et évacuer le stress qui me colle aux tripes à chaque instant depuis que je vis dans ce pays".

Parties tôt, c’est en milieu d’après-midi qu’elles retournent. C’est vrai qu’elles trouvent leur père, mais à ce moment-là, vu son travail de nuit, il est couché au lit.  Et quand il se réveille vers 16h30, tout se passe très vite : il prend à peine sa douche et le voilà pressé de repartir à Milnerton… C’est à peine qu’elles lui racontent leur journée tumultueuse à l’école et la peur fréquente qu’elles éprouvent dans le train du retour que déjà le voilà en route pour Koeberg Road attendre le bus de " Byers Security & Associate".

Quant à Hélène, sa femme (29 ans), infirmière de formation, c’est une autre histoire. Depuis un an et demi, elle s’occupe d’un vieux couple Blanc situé à Paarl, à l’autre bout de la ville pour R5000 (soit 500$). Elle se lève tôt, elle aussi, et avant même que son mari n’arrive, elle s’en va. Elle ne revient qu’à 18h00, après près d'une heure de train, à l’heure précise où son mari débute son night shift à Milnerton. A cause de cet horaire compliqué, ils ne se voient … qu’en weekend !

Malgré lui, il avoue : " C’est le prix à payer si l’on veut envoyer ses enfants à l’école et payer le loyer. Je n’ai pas d’autre choix que de faire avec. A Kinshasa, je disposais bien du temps à consacrer aux miens. Mais sans travail, nous ne faisions que survivre. Ici par contre, malgré un horaire serré et un travail dangereux, tout le monde est d’accord pour ne voir que les avantages de la chose ". Philosophe, il conclut : "ça, ce sont les réalités de l’émigration…"

 
Les yeux lourds de sommeil, il n’a pas besoin de vérifier une énième fois sa montre  car il est obligé de déchanter alors une longue attente : le bus qu’il attendait ne s’est pas annoncé. Il va devoir trotter jusqu’à Maitland, soit presque une demi-heure de marche. "Sans doute qu’il a pris une autre direction, tellement il y a des routes ici ".

C’est une autre "réalité de l’émigration" ça : accepter en silence d’être " oublié " par le bus sensé pourtant le ramasser chaque matin et le ramener à la maison, et être considéré comme moins que rien, accepter un travail qu’il n’aurait pas fait chez-lui avec sa licence en sociologie en poche, être obligé de faire les pieds sur une route peu sûre, au risque de faire une mauvaise rencontre tant la criminalité ici est à chaque coin…

"L’émigration m’a appris bien des choses que je n’aurais pas apprises au pays. Entre autres, ne pas se plaindre ou critiquer le pays qui vous accueille. Il faut se résigner à tout. Pour tenir le coup, je me dis toujours que là-bas au pays, ce n’est pas le paradis." Voilà son leitmotiv. Quand ses compatriotes se laissent aller au désespoir, c’est en réfléchissant ainsi qu’il parvient à endurer.

Les dents serrées et d’un pas décidé, Nyati se met en route.  En prenant le bord de la chaussée, il traverse le quartier Rugby en vitesse, de peur que des malfrats, nombreux ici, ne l’attaquent. Le mois passé, ils lui ont pris son énième téléphone, ce qui l’a résolu à ne se procurer que le moins cher possible désormais. "Pour ne pas faire le deuil quand ils me le prendront", dit-il avec humour.

Après le quartier Rugby vient ensuite Brooklyn, avec ses nombreux magasins qui alternent avec des flats. Des vendeurs "coloureds" ont étalé leurs étables remplis de marchandises d'occasion dans la véranda des maisons qui bordent la route principale et guettent les acheteurs éventuels.  

Ses yeux fatigués brillent quand il atteint le pont de Koeberg et qu’il voit de loin sa maison sur Railways street, juste à deux pas de la station de train de Maitland. Mais en ouvrant la porte, la tristesse remplace la joie : la maison est vide, comme la plupart de fois. Sur la table, à coté de la cafetière, un petit carton porte un dessin avec une mention : " We love u Dad ". Ce sont ses deux filles qui l’ont griffonné.  

Il sourit, mais pris de sommeil, il se jette tout habillé au lit. En attendant qu’il se réveille vers 16h00 pour refaire le chemin de Milnerton. Le temps de voir la face de ses jolies filles et, la mort dans l'âme, s'en aller au travail de nuit. Ce n’est qu’une journée ordinaire pour Nyati, émigré Congolais ici à Capetown.

2 commentaires:

  1. J'encourage M. Nyati à continuer avec son boulot actuel tant qu'il n'en a pas trouvé un autre. Il n y a aucune garantie que dans son pays, il aurait trouvé mieux. Je connais un cas d'un licencié en droit de l'Unikin qui travaille comme gardien (donc le même travail que Nyati) à Kinshasa-Gombe. Dans la vie, quatre personnes sur dix trouvent le travail qu'ils aiment réellement. Les autres exercent puisqu'ils sont dans le besoin et qu'ils n'ont aucun autre choix. Il faut aimer son travail, l'essentiel est de gagner un salaire qui vous permette de vivre. Bravo à Nyati et son épouse qui travaillent. Certains migrants congolais passent leur temps à mendier, voler ou à se prostituer.

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  2. Merci bien Bruno pour votre esprit positif. C'est vrai qu'il est stressant de ne pas pouvoir trouver "un travail auquel on a droit", celui qui convient a ses capacités. Heureusement, beaucoup de compatriotes, a l'exemple de Nyati, acceptent ce qu'ils ont sous la main, histoire d'être indépendant et de fournir les nécessités à sa famille.

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