Milnerton est un faubourg de la ville de Capetown, en
Afrique du Sud. Situé au bord de l’Océan Atlantique, il est très apprécié pour sa lagune, son
Beach avec vue sur la célèbre chaine de montagnes "Table Mountains" ou encore sa réserve naturelle qui attirent
de nombreux touristes.
Habité en majorité par les Blancs et des Coloureds [les
métis], il faut se diriger au Nord, vers Table View pour rencontrer à mi-chemin
deux townships Noirs : Joe Slovo et Dunoon. Des hôtels, des chaines de
magasins, des restaurants, des stations d’essence et des flats s’étalent au
bord de la voie qui va de Maitland vers Table View. C’est sur un site de 1000m2 situé à Milnerton que la société de
surveillance "Byers Security &
Associate" a affecté Nyati, 35 ans, qui y travaille en night shift pour un salaire mensuel de R4000
(400$)
Mis face à face, le quartier Ozone dans la commune de
Ngaliema à Kinshasa d’où il est venu trois ans plus tôt et Milnerton, c’est
comme le jour et la nuit. Mais de la beauté de Milnerton, il n’en a cure. A
vrai dire, il ne la remarque même pas. Quand on lui demande pourquoi, il
répond ainsi: " Le lieu où vous
êtes né, c’est comme les êtres que vous aimez : vos parents et vos enfants
par exemple. Vous les aimez non pas à cause de leur aspect physique, mais à
cause de ce qu’ils représentent pour vous, et ils n’ont pas de prix à vos
yeux. Pour rien au monde, vous ne les échangerez contre autre chose ! "
Ce matin, sa seule préoccupation est d’arriver à temps au
quartier Koeberg, à Maitland où il réside et voir ses filles de 6 et 8 ans avant
qu’elles ne se rendent à Belleville, à leur école. Elles étudient à une distance d’environ une
demi-heure de train. Pour cela, elles sortent de chez-elles avant même que leur père n’y arrive vers 6h30.
Mais voilà quatre jours qu’il ne les a pas vues. "Les voir sourire et les entendre jouer et gambader sur la pelouse me suffit
pour retrouver la joie de vivre et évacuer le stress qui me colle aux tripes à
chaque instant depuis que je vis dans ce pays".
Parties tôt, c’est en milieu d’après-midi qu’elles
retournent. C’est vrai qu’elles trouvent leur père, mais à ce moment-là, vu son
travail de nuit, il est couché au lit.
Et quand il se réveille vers 16h30, tout se passe très vite : il
prend à peine sa douche et le voilà pressé de repartir à Milnerton… C’est à
peine qu’elles lui racontent leur journée tumultueuse à l’école et la peur fréquente
qu’elles éprouvent dans le train du retour que déjà le voilà en route pour Koeberg Road attendre le bus de " Byers Security & Associate".
Quant à Hélène, sa femme (29 ans), infirmière de
formation, c’est une autre histoire. Depuis un an et demi, elle s’occupe d’un
vieux couple Blanc situé à Paarl, à l’autre bout de la ville pour R5000 (soit
500$). Elle se lève tôt, elle aussi, et avant même que son mari n’arrive, elle s’en
va. Elle ne revient qu’à 18h00, après près d'une heure de train, à l’heure
précise où son mari débute son night
shift à Milnerton. A cause de cet horaire compliqué, ils ne se voient …
qu’en weekend !
Malgré lui, il avoue : " C’est le prix à payer si l’on veut envoyer ses enfants à l’école et
payer le loyer. Je n’ai pas d’autre choix que de faire avec. A Kinshasa, je
disposais bien du temps à consacrer aux miens. Mais sans travail, nous ne
faisions que survivre. Ici par contre, malgré un horaire serré et un travail
dangereux, tout le monde est d’accord pour ne voir que les avantages de la
chose ". Philosophe, il conclut : "ça, ce sont les réalités de
l’émigration…"
Les yeux lourds de sommeil, il n’a pas besoin de
vérifier une énième fois sa montre car il
est obligé de déchanter alors une longue attente : le bus qu’il attendait ne
s’est pas annoncé. Il va devoir trotter jusqu’à Maitland, soit presque une
demi-heure de marche. "Sans doute
qu’il a pris une autre direction, tellement il y a des routes ici ".
C’est une autre "réalité de l’émigration" ça : accepter en silence d’être "
oublié " par le bus sensé pourtant
le ramasser chaque matin et le ramener à la maison, et être considéré comme
moins que rien, accepter un travail qu’il n’aurait pas fait chez-lui avec sa
licence en sociologie en poche, être obligé de faire les pieds sur une route
peu sûre, au risque de faire une mauvaise rencontre tant la criminalité ici est
à chaque coin…
"L’émigration
m’a appris bien des choses que je n’aurais pas apprises au pays. Entre autres,
ne pas se plaindre ou critiquer le pays qui vous accueille. Il faut se résigner
à tout. Pour tenir le coup, je me dis toujours que là-bas au pays, ce n’est pas
le paradis." Voilà son leitmotiv. Quand ses compatriotes se laissent
aller au désespoir, c’est en réfléchissant ainsi qu’il parvient à endurer.
Les dents serrées et d’un pas décidé, Nyati se met en
route. En prenant le bord de la chaussée,
il traverse le quartier Rugby en vitesse, de peur que des malfrats, nombreux
ici, ne l’attaquent. Le mois passé, ils lui ont pris son énième téléphone, ce
qui l’a résolu à ne se procurer que le moins cher possible désormais. "Pour ne pas faire le deuil quand ils me le
prendront", dit-il avec humour.
Après le quartier Rugby vient ensuite Brooklyn, avec ses nombreux magasins qui alternent avec des flats. Des vendeurs "coloureds" ont étalé leurs étables remplis de marchandises d'occasion dans la véranda des maisons qui bordent la route principale et guettent les acheteurs éventuels.
Après le quartier Rugby vient ensuite Brooklyn, avec ses nombreux magasins qui alternent avec des flats. Des vendeurs "coloureds" ont étalé leurs étables remplis de marchandises d'occasion dans la véranda des maisons qui bordent la route principale et guettent les acheteurs éventuels.
Ses yeux fatigués
brillent quand il atteint le pont de Koeberg et qu’il voit de loin sa maison
sur Railways street, juste à deux pas de la station de train de Maitland. Mais en ouvrant la porte, la tristesse remplace la joie :
la maison est vide, comme la plupart de fois. Sur la table, à coté de la cafetière,
un petit carton porte un dessin avec une mention : " We love u Dad ". Ce sont ses deux filles
qui l’ont griffonné.
Il sourit, mais pris de sommeil, il se jette tout
habillé au lit. En attendant qu’il se réveille vers 16h00 pour refaire le
chemin de Milnerton. Le temps de voir la face de ses jolies filles et, la mort dans l'âme, s'en aller au travail de nuit. Ce n’est qu’une journée ordinaire pour Nyati, émigré Congolais ici à Capetown.
J'encourage M. Nyati à continuer avec son boulot actuel tant qu'il n'en a pas trouvé un autre. Il n y a aucune garantie que dans son pays, il aurait trouvé mieux. Je connais un cas d'un licencié en droit de l'Unikin qui travaille comme gardien (donc le même travail que Nyati) à Kinshasa-Gombe. Dans la vie, quatre personnes sur dix trouvent le travail qu'ils aiment réellement. Les autres exercent puisqu'ils sont dans le besoin et qu'ils n'ont aucun autre choix. Il faut aimer son travail, l'essentiel est de gagner un salaire qui vous permette de vivre. Bravo à Nyati et son épouse qui travaillent. Certains migrants congolais passent leur temps à mendier, voler ou à se prostituer.
RépondreSupprimerMerci bien Bruno pour votre esprit positif. C'est vrai qu'il est stressant de ne pas pouvoir trouver "un travail auquel on a droit", celui qui convient a ses capacités. Heureusement, beaucoup de compatriotes, a l'exemple de Nyati, acceptent ce qu'ils ont sous la main, histoire d'être indépendant et de fournir les nécessités à sa famille.
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