jeudi 6 février 2014

" Femmes battues, Femmes aimées ? " (2)

 
 



Un trajet d’à peine quelques centaines de mètres, le voilà devenu un parcours de combattant. Un véritable saut d’obstacles. A la suite d’une abondante pluie qui vient de s’abattre sur la capitale congolaise, les nombreux quartiers de Kinshasa étaient inondés. L’avenue Cotonnier du quartier Kauka ne fait pas exception. Pour la circonstance, elle devenait "lac cotonnier" comme l’avaient surnommée ironiquement ses habitants.

Aujourd’hui les marchands des beignets et d’arachides grillées, les tables des vendeurs de crédit de téléphone ou des chikwange qui la peuplent d’habitude l’ont désertée. Ils ont troqué leur place aux flots.

 
Quoique chaussé des bottes en caoutchouc, rien n’y fait. Paul avait à peine posé les pieds dans " le lac " que la boue qui lui arrivait jusqu’aux mollets l’empêchait d’avancer. Comme un funambule, il marchait avec précaution, sans trop savoir si son prochain pas aller atterrir dans un trou ou sur un probable câble électrique cassé par la violence du vent qui a précédé la pluie et gisant sous les eaux. Dire que c’est à un kilomètre seulement du Rond-Point Victoire, Place la plus célébrée par les chanteurs congolais !

 
" Et si Yolande te voyait ainsi, hein ? " s’interrogea-t-il lui-même, songeant à la réaction qu’aurait eu sa femme lorsqu’elle le verrait marchant péniblement dans ces eaux sales qui charriaient sachets, bouteilles en plastique et feuilles d’arbres. Mais il chassa aussitôt l’idée de son esprit. Comme si l’idée venait d’une tierce personne, il réagit,  disant : " tu n’as quand même pas bataillé ferme pour obtenir d’aller voler au secours de la mère du jeune garçon et, avant même d’y être arrivé, faire demi-tour à cause des intempéries ! "

Plus il avançait, plus son admiration pour le courage presqu’héroïque du jeune enfant  qui a bravé le courant jusqu’à atteindre sa maison grandissait. " Comment a-t-il pu tenir jusqu’à venir chez-moi ? Comment a-t-il pu ?" se demandait Paul.

Au terme d’un peu plus d’un quart d’heure, il sortit de Cotonnier Street pour s’engager sur une ruelle  en terre battue qui menait d’habitude chez les Bofunda. Mais ce n’était plus la voie sablonneuse qu’il connaissait. Devant Paul s’étalait plutôt une rivière de circonstance que traversait un pont fait des planches de récupération!  La profondeur sous le pont était d’une dizaine de mètre.

 
Il prit son courage en main et s’engagea sur le pont. C’est alors qu’il entendit une voix derrière lui.

" Payez d’abord !"Il se retourna et vit un jeune homme dans la vingtaine sous un parapluie tenu par un autre jeune. Dans sa main gauche il avait des liasses de billets d’argent et dans sa droite, une tige qui exhalait des veloutes de fumée. A sentir l’odeur, ce n’était pas une vulgaire cigarette. C’était le "bangi", chambre indien en Lingala.

"Mais je ne vais pas loin, c’est juste là-bas que je vais ; juste là-bas." dit-il en indiquant une maison aux tôles rouges située à une vingtaine de mètres. L’autre ne parut pas impressionné.

" Je ne vous interdis pas d’aller où vous voulez", dit-il. " Mais quant à traverser notre pont, vous devez payer. "  Son ton était sans appel. D’ailleurs avait-il parlé qu’il se détournait de lui pour s’adresser à un autre "passager". Aussi Paul comprit qu’il ne pouvait rien attendre d’un homme intoxiqué. Il tira de sa poche un billet qu’il lui proposa.

" Non, pas 500 Francs. C’est 1000 FC. Ajoutez 500 et je vous fais passer. Autrement, vous passerez à la nage. " Le ton était sans appel. Le jeune homme ne tendit même pas la main pour prendre ce qu’il lui offrait. Derrière Paul, quatre ou cinq personnes attendaient qu’il ait fini pour traverser à leur tour. Ils tenaient chacun un billet de 1000FC en mains. Sans être vraiment en file indienne, ils étaient derrière-lui, groupés.

" Si vous ne voulez pas passer, laissez-moi la place ! " Un des hommes derrière lui tendit un billet de 1000 Francs que le jeune homme empocha aussitôt et deux garçons qui en barraient l’accès s’écartèrent pour le faire passer. Il marcha en équilibriste sur le pont de fortune jusqu’au bout. Vint le tour de Paul.

" OK, prenez". Il lui tendit deux billets de 500. Le jeune homme empocha aussitôt et fit signe à ses amis pour qu’ils ouvrent la voie pour lui. Mais avant de traverser, il dit au receveur du "péage" : "C’est mieux quand même ce que vous faites que d’aller voler dans les maisons des voisins". Un billet de 1000 FC changea des mains et il traversa, sans que le jeune homme lui réponde, comme s’il était sur une autre planète.

Hésitant d’abord, il s’arma de courage et finit, au prix d’efforts, à traverser le pont dont les planches balançaient , mais elles ne plièrent pas jusqu’ à ce qu’il atteignit l’autre rive.

2 commentaires:

  1. Greetings from Lagos, via a visit to the wonderful Darsketches blog.
    With no French, can only look @ your photographs. I guess that rain is what I can expect here in Lagos in a few months time.
    Cheers, ic

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    Réponses
    1. Thanks iancochrane for your visit. Actually, to grasp what this blog is about you may use the "translate" option found below.

      Nice time in Lagos!

      CongoleseStories

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