dimanche 2 février 2014

"Femmes battues, Femmes aimées" ? (1)


ˮ Encore? ˮ Paul murmurait  et secouait énergiquement sa tête, étonné au vu du jeune garçon. Le vacarme au dehors et le bruit des gouttes de pluie sur les tôles de la maison rendaient pourtant les propos de l’enfant inaudibles. Mais à voir son agitation, ses yeux inondés des larmes et sa respiration haletante, il  eut  la réminiscence de nombreuses scènes encore fraiches dans sa mémoire .  

Chaque fois que le jeune garçon détale ici, c’est pour le même motif. La dernière fois qu’il est venu ici ne date pas de longtemps : une dizaine de jours seulement plus tôt ! Paul avait fini par avoir de l’affection pour cet enfant d’à peine cinq ans que personne  n’envoyait mais qui prenait l’initiative de courir au secours de sa mère.

" Pa Paulo, Pa Paulo ! " répétait  l’enfant de plus belle, ne sachant pas que son interlocuteur avait déjà capté le message qu’envoyait  son irruption soudaine dans la maison par un jour de pluie. " Venez vite ! ˮ ajouta l’enfant qui vint se planter juste à quelques centimètres de lui, avec ses deux mains liés, comme s’il priait. Derrière lui, les marques boueuses de ses petits pas venant de la porte.

La pluie qui tombait depuis le début de l’après-midi commençait à ralentir sa force, mais le bruit, lui, ne diminuait pas pour autant.  Les décibels de musique venant du bar situé en face de sa maison ainsi que les ronronnements  du moulin de son voisin l’empêchaient de bénéficier du calme voulu chez-lui.

Comme dans tous les quartiers à Kinshasa, à part les quartiers huppés de la Gombe ou de Ma-Campagne, il n’est pas rare de trouver un débit de boisson, voire plus sur une seule avenue. Aussi, lorsque Paul s’en est allé se plaindre auprès de ses voisins, leur demandant  de baisser le volume, il n’a pas eu gain de cause.

Il s’est plutôt entendu dire par le propriétaire du débit de boisson: "Quoi ? Et comment aurais-je les clients ? Irez-vous les chercher pour moi ? " Fou furieux, il le traita même d’homme " arrogant". Depuis cette mésaventure, incapable de déménager sa maison, il fait avec, simplement, même s’il continue de souffrir en silence.

Paul déposa les couverts à table, tira la chaise et se leva, prit l’essuie-main, sécha les cheveux de L'Enfant mouillés par les eaux de pluie. A présent il se tourna vers sa femme et croisa son regard. Celle-ci, elle, portait son attention sur la boue que convoyait les souliers de l’enfant qui avait tachée son salon. Son regard ne disait rien de bon. Il se mit debout et vit que sa femme, qui n’avait pas dit un mot depuis l’irruption de l’enfant et qui gardait la station debout, bras croisés en face de son mari le suivait du regard.

ˮ Que veux-tu faire ? " demanda-t-elle, et suite à son silence elle ajouta : " Pourquoi ne veux-tu pas laisser ces gens-là continuer à faire leur théâtre ? ˮ dit-elle d’un ton sec et le regard sévère, indiquant du menton le jeune enfant.

ˮ Mais voyons, Yolande, ", répondit-il. Et il ajouta : " une femme battue par un homme c’est du théâtre ? ˮ Il disait cela d’un ton conciliant. Le garçon, dont on ne sait trop s’il avait suivi la conversation du couple ou non,  se dirigea vers la porte et disparut.

"OK, répliqua Yolande, qui restait, elle, de marbre, " ne sont-ils pas assez grands pour savoir régler leurs problèmes eux-mêmes ?ˮ

"Rappelles-toi ce que je t’ai dit la dernière fois que je suis allé chez eux : l’homme a eu un père alcoolique qui avait l’habitude de battre sa femme. A présent qu’il est adulte et marié, tout ce qu’il fait, c’est copier le comportement violent de son père, rien d’autre. Les vieilles habitudes sont difficiles à évacuer…"

" Soit. Mais en quoi cela te regarde-t-il ? répliqua Yolande, visiblement excédée. "Ne pouvons-nous pas vivre notre vie sans nous  préoccuper des autres et de ce qu’ils font ? Veux-tu nous faire vivre au village ou quoi, hein ? Et que feraient-ils s’ils vivaient à l’étranger ? Qui viendrait faire la paix chez eux ? Vont-ils compter encore sur leurs voisins ?ˮ

Yolande était irritée : ce n’est pas maintenant qu’on allait lui priver son mari ! En effet, en RD Congo, contrairement aux pays d’Afrique de l’Est et australe, à part les banques et quelques écoles privées, il n’est pas rare que le travail a lieu de lundi à samedi à midi, ce qui laisse pratiquement peu de temps aux familles et enfants de s’amuser. Cela bien sûr, n’est pas au goût de tout le monde.

Paul restait silencieux et pensif.  Il prit affectueusement la main de sa femme, partagé entre son désir de mettre fin à la scène et l’assistance à une personne en danger que lui recommandait sa conscience. Pour rien au monde, il ne voulait pas faire la paix ailleurs en allumant un incendie dans sa propre maison. Il resta debout, sans répondre  à sa femme. Puis, brisant la glace, il lui dit :

ˮ ma chérie, excuse-moi : je vais revenir  terminer ton repas délicieux. Tu sais combien j’aime ta cuisine. ˮ   Il dit cela, en tenant sa femme sur l’épaule tendrement, son visage à dix centimètres du sien. Il continua : ˮ Mais vois-tu, il est de notre responsabilité d’encadrer ces jeunes-gens. Rappelles-toi : lorsque nous étions jeunes mariés, nous n’étions pas toujours seuls, n’est-ce pas ? ˮ.

Yolande força un sourire. Son premier depuis le début de leur discussion. Elle hochait la tête, ce qui réjouit son mari qui prit conscience que ses propos venaient sans doute de toucher la corde sensible de sa bien-aimée.  

ˮ Tu n’as qu’à y aller, cher Bon Samaritain ! ˮ

Elle l’avait dit avec ironie, presqu’avec dédain, insistant sur ˮ bon ˮ. Lui, par contre, le prenait pour un compliment. Il se dirigea en hâte vers la porte, sans regarder en arrière, comme s’il craignait qu’elle change d’avis. Il sortait comme un enfant auquel sa mère venait d’accorder la permission d’aller jouer avec ses amis.  (A suivre)
 

2 commentaires:

  1. Il y a longtemps que j'attendais un blog comme celui-ci, qui me fait un peu rever de mon propre pays, avec des perso bien de chez-nous, avec un décor de chez-nous, avec des odeurs de chez-nous. Je sens du vrai talent. Felicitations.
    J'attends vivement la suite.

    Tamba,
    Milan

    RépondreSupprimer
  2. Je viens de decouvrir ce blog et je vous promet: j'y viendrai souvent. Je vais peut-etre vous surprendre en vous disant que je vous ai deja rencontre quelque part, peut-etre entre Nairobia et Maputo, les annees passees. Je vous ai reconnu par votre photo.

    Je dois vous reveler aussi mon emotion pour l'histoire relative a vos "Illusions d'etudiants". Franchement, j'ai eu des larmes aux yeux a la fin du recit, tellement vous dites votre recit avec franchise et sobriete. Je suis aussi un ancient de l'Unilu, mais bien après vous.

    RépondreSupprimer