ˮ Encore? ˮ Paul murmurait et secouait énergiquement sa tête, étonné au
vu du jeune garçon. Le vacarme au dehors et le bruit des gouttes de pluie sur
les tôles de la maison rendaient pourtant les propos de l’enfant inaudibles. Mais
à voir son agitation, ses yeux inondés des larmes et sa respiration haletante, il eut la
réminiscence de nombreuses scènes encore fraiches dans sa mémoire .
Chaque fois que le jeune garçon
détale ici, c’est pour le même motif. La dernière fois qu’il est venu ici ne
date pas de longtemps : une dizaine de jours seulement plus tôt !
Paul avait fini par avoir de l’affection pour cet enfant d’à peine cinq ans que
personne n’envoyait mais qui prenait
l’initiative de courir au secours de sa mère.
" Pa Paulo, Pa Paulo ! "
répétait l’enfant de plus belle, ne
sachant pas que son interlocuteur avait déjà capté le message qu’envoyait son irruption soudaine dans la maison par un
jour de pluie. " Venez vite ! ˮ ajouta l’enfant qui vint se planter juste
à quelques centimètres de lui, avec ses deux mains liés, comme s’il priait.
Derrière lui, les marques boueuses de ses petits pas venant de la porte.
La pluie qui tombait depuis le
début de l’après-midi commençait à ralentir sa force, mais le bruit, lui, ne
diminuait pas pour autant. Les décibels
de musique venant du bar situé en face de sa maison ainsi que les ronronnements
du moulin de son voisin l’empêchaient de
bénéficier du calme voulu chez-lui.
Comme dans tous les quartiers à
Kinshasa, à part les quartiers huppés de la Gombe ou de Ma-Campagne, il n’est
pas rare de trouver un débit de boisson, voire plus sur une seule avenue. Aussi,
lorsque Paul s’en est allé se plaindre auprès de ses voisins, leur demandant de baisser le volume, il n’a pas eu gain de
cause.
Il s’est plutôt entendu dire par le
propriétaire du débit de boisson: "Quoi ? Et comment aurais-je les
clients ? Irez-vous les chercher pour moi ? " Fou furieux, il le traita même
d’homme " arrogant". Depuis cette mésaventure, incapable de déménager sa maison, il
fait avec, simplement, même s’il continue de souffrir en silence.
Paul déposa les couverts à table,
tira la chaise et se leva, prit l’essuie-main, sécha les cheveux de L'Enfant mouillés par les eaux de pluie. A
présent il se tourna vers sa femme et croisa son regard. Celle-ci, elle, portait son attention sur la boue que convoyait les souliers de l’enfant qui avait tachée son salon. Son regard ne disait rien de bon. Il se mit debout et
vit que sa femme, qui n’avait pas dit un mot depuis l’irruption de l’enfant et
qui gardait la station debout, bras croisés en face de son mari le suivait du
regard.
ˮ Que veux-tu faire ? " demanda-t-elle, et
suite à son silence elle ajouta : " Pourquoi ne veux-tu pas laisser
ces gens-là continuer à faire leur théâtre ? ˮ dit-elle d’un ton sec et le
regard sévère, indiquant du menton le jeune enfant.
ˮ Mais voyons, Yolande, ", répondit-il. Et il
ajouta : " une femme battue par un homme c’est du théâtre ? ˮ Il
disait cela d’un ton conciliant. Le garçon, dont on ne sait trop s’il avait
suivi la conversation du couple ou non,
se dirigea vers la porte et disparut.
"OK, répliqua Yolande, qui restait, elle, de marbre,
" ne sont-ils pas assez grands pour savoir régler leurs problèmes
eux-mêmes ?ˮ
"Rappelles-toi ce que je t’ai
dit la dernière fois que je suis allé chez eux : l’homme a eu un père
alcoolique qui avait l’habitude de battre sa femme. A présent qu’il est adulte
et marié, tout ce qu’il fait, c’est copier le comportement violent de son père,
rien d’autre. Les vieilles habitudes sont difficiles à évacuer…"
" Soit. Mais en quoi cela te
regarde-t-il ? répliqua Yolande, visiblement excédée. "Ne
pouvons-nous pas vivre notre vie sans nous
préoccuper des autres et de ce qu’ils font ? Veux-tu nous faire
vivre au village ou quoi, hein ? Et que feraient-ils s’ils vivaient à
l’étranger ? Qui viendrait faire la paix chez eux ? Vont-ils compter encore
sur leurs voisins ?ˮ
Yolande était irritée : ce n’est
pas maintenant qu’on allait lui priver son mari ! En effet, en RD Congo, contrairement
aux pays d’Afrique de l’Est et australe, à part les banques et quelques écoles privées,
il n’est pas rare que le travail a lieu de lundi à samedi à midi, ce qui laisse
pratiquement peu de temps aux familles et enfants de s’amuser. Cela bien sûr, n’est
pas au goût de tout le monde.
Paul restait silencieux et
pensif. Il prit affectueusement la main
de sa femme, partagé entre son désir de mettre fin à la scène et l’assistance à
une personne en danger que lui recommandait sa conscience. Pour rien au monde,
il ne voulait pas faire la paix ailleurs en allumant un incendie dans sa propre
maison. Il resta debout, sans répondre à
sa femme. Puis, brisant la glace, il lui dit :
ˮ ma chérie, excuse-moi : je
vais revenir terminer ton repas
délicieux. Tu sais combien j’aime ta cuisine. ˮ Il dit cela, en tenant sa femme sur l’épaule
tendrement, son visage à dix centimètres du sien. Il continua : ˮ Mais
vois-tu, il est de notre responsabilité d’encadrer ces jeunes-gens. Rappelles-toi :
lorsque nous étions jeunes mariés, nous n’étions pas toujours seuls, n’est-ce
pas ? ˮ.
Yolande força un sourire. Son
premier depuis le début de leur discussion. Elle hochait la tête, ce qui réjouit
son mari qui prit conscience que ses propos venaient sans doute de toucher la
corde sensible de sa bien-aimée.
ˮ Tu n’as qu’à y aller, cher Bon
Samaritain ! ˮ
Elle l’avait dit avec ironie,
presqu’avec dédain, insistant sur ˮ bon ˮ. Lui, par contre, le prenait pour un
compliment. Il se dirigea en hâte vers la porte, sans regarder en arrière,
comme s’il craignait qu’elle change d’avis. Il sortait comme un enfant auquel
sa mère venait d’accorder la permission d’aller jouer avec ses amis. (A suivre)
Il y a longtemps que j'attendais un blog comme celui-ci, qui me fait un peu rever de mon propre pays, avec des perso bien de chez-nous, avec un décor de chez-nous, avec des odeurs de chez-nous. Je sens du vrai talent. Felicitations.
RépondreSupprimerJ'attends vivement la suite.
Tamba,
Milan
Je viens de decouvrir ce blog et je vous promet: j'y viendrai souvent. Je vais peut-etre vous surprendre en vous disant que je vous ai deja rencontre quelque part, peut-etre entre Nairobia et Maputo, les annees passees. Je vous ai reconnu par votre photo.
RépondreSupprimerJe dois vous reveler aussi mon emotion pour l'histoire relative a vos "Illusions d'etudiants". Franchement, j'ai eu des larmes aux yeux a la fin du recit, tellement vous dites votre recit avec franchise et sobriete. Je suis aussi un ancient de l'Unilu, mais bien après vous.