" Oui, je sais, mais de quelle carte parlez-vous ? " Le
soldat changea d’humeur, sa patience étant mise à bout par le jeune étudiant
insouciant. A présent il s’adressa à lui sur un ton de commandement.
"Je veux voir tes papiers d’identité tout de suite, petit ! " Il tint son arme et feint de le mettre en joue. Mais le jeune homme ne fit pas montre ni de peur ni de témérité. Il restait naturel. José lui parlait maintenant sur un ton bas, comme s’il s’agissait d’une connaissance:
"Y a-t-il seulement une raison à ce contrôle ?" dit-il au soldat.
En trois années passées à Kampala en Ouganda, il se rappelait n’avoir jamais été interpellé par la Police à propos de papiers. Et Kampala c’est dans un pays étranger. Ce n’est qu’au lendemain de l’attentat du 11/07/2010 à Kampala, lequel fut revendiqué par le groupe terroriste somalien Al Shabab, et qui fit 84 victimes dans une salle où la retransmission télévisée de la finale de Coupe du monde de football était assurée, que la Police a commencé, dans des endroits de grande affluence comme Makerere University ou les marchés, des fois, à filtrer les entrées, à la recherche d’éventuels terroristes.
Il se rappelait même avoir suivi
BBC avant de sortir, et il n’y avait pas été question d’un quelconque conflit
dans la région qui puisse justifier ce contrôle. Et puis, se disait-il, " enverrait-on
des soldats pour un contrôle de routine ? C’est la mission de la
Police ! "
"Le soldat que je suis n’a pas à demander à mes supérieurs pourquoi tel commandement ou tel autre. Moi, quand je reçois des ordres, je les exécute sans poser des questions, petit" lui dit le soldat. Ce dernier ajouta : “Autrement nous autres serions comme vous, des civils." Il s’adressait sur lui sur un ton didactique, pointant son fusil vers lui. L’homme en uniforme élevait la voix pour éviter que le bruit des véhicules qui allaient dans tous les sens ne l’empêche d’être entendu.
Le jeune étudiant hocha la tête, dubitatif et puis dit à son
interlocuteur: " Dis-moi monsieur, elle a quelle couleur, votre carte
d’identité : bleue, jaune, rouge ou jaune ? "
L’interlocuteur parut embarrassé par la question, ne sachant par quel bout la saisir. Il donnait l’impression d’avoir compris l’allusion puisqu’il se gratta nerveusement le crane. La dernière carte d’identité nationale en RDC date de l’ère Mobutu. Quand l’AFDL accéda au pouvoir en 1997, il était de bon ton de s’en prendre à tout ce qui était mobutiste. Le nouveau pouvoir promis l’établissement d’une nouvelle carte d’identité. A ce jour, la promesse tarde à se matérialiser, l’AFDL entretemps ayant été remplacée par le PPRD, Kabila-Fils ayant pris la place de Kabila-Père depuis son assassinat en janvier 2001.
Il se retourna en direction de son collègue assis au bord de la pelouse, à une dizaine de mètres d’eux. C’est lui qui vint à la rescousse de son compagnon, preuve qu’il n’avait pas perdu une miette de leur conversation.
"Dis-lui de te montrer sa carte d’électeur." L’autre reprit l’argument à son compte et répéta la question à José.
"Mais voyons, dit le jeune étudiant, la carte d’électeur n’est pas une carte d’identité. Puis il ajouta ceci : " Mais supposez qu’elle le fût, je n’en dispose pas et pourtant je n’en rougis pas messieurs."
"Et pourquoi donc, chef?" dit le soldat proche de lui,
ironique.
"En 2010, je n’étais pas majeur pour voter et je ne me suis pas fait enrôler. Voilà !" Il le disait sur un ton détaché, comme s’il s’agissait de la chose de la plus moindre importance, ce qui apparemment agaçait ses interlocuteurs.
Mais le soldat ne s’avouait pas vaincu. "Dans ce cas, montre-nous ton Attestation des Pertes des Pièces". Il souriait, fier de sa trouvaille.
"Pourquoi voulez-vous que j’en aie, puisque je n’ai perdu aucun
document ? Seriez-vous entrain de m’apprendre à mentir à l’Officier de
l’Etat Civil ?" répliqua José.
C’en était trop. Le soldat assis sur la pelouse fit signe de la main,
appelant son collègue. Mais l’autre, ébranlé par l’argumentaire du jeune homme,
décida d’en venir au but.
"D’accord on a compris. On peut toujours s’entendre" dit le soldat cette fois sur un ton conciliant. Et tendant la main droite vers lui, il ajouta à voix basse: "Donne-nous un peu de sous et on se quitte".
José le fixa quelques secondes, comme avec pitié, avant de répondre.
"Dommage, j’ai les poches trouées", répondit-il, accompagnant ses propos d’un grand geste de mains en l’air, après avoir déployé ses poches.
"Dommage, j’ai les poches trouées", répondit-il, accompagnant ses propos d’un grand geste de mains en l’air, après avoir déployé ses poches.
Les deux soldats échangèrent de regard pendant quelques secondes et José était là à attendre lorsque son téléphone sonna. C’était sa mère: "Joe, ton match, tu vas le rater !" "Je suis en route, mam !" répondit-il, impatient.
Il leur dit : "Voulez-vous me laisser aller,
chefs ?" Il n’attendit par leur réponse et se mit en marche, occupés
qu’ils étaient à s’entre accuser d’avoir ciblé "un garçon téméraire qui ne
pouvait être qu’un mauvais client" alors qu’il leur fallait un adulte
susceptible d’être "plus coopérant".
La nuit était tombée maintenant sur Goma-la-martyre, tandis qu’imperturbable, le jeune homme, ses écouteurs de nouveau aux oreilles, dévalait la colline. Seuls les klaxons de motos-taxis allant et venant venaient perturber sa marche et l’obligeaient à se retourner.
Soudain une clameur se fit entendre aux alentours : la ville était
tombée dans l’obscurité. Délestage ou une panne générale de courant ? José
jeta un regard au loin et vit les lumières éclairant Gisenyi, la ville
rwandaise située à 1 kilomètre de Goma. Il songea à son match qu’il ne pouvait
voir sans électricité. A cette heure, il ne pouvait se rendre à Gisenyi.
"Si proche et si loin", murmura-t-il, en poursuivant sa marche. Les
deux soldats, quant à eux, se postèrent là, à l’affût du prochain
"client".
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