Une dépêche de l’APC annonça le décès du
Sénateur Isoyongo Pidios le 21 mars 2011. Fait bizarre, la
disparition de "Pijos"
m’affecte beaucoup bien que de son vivant il ne fit jamais partie de mes
fréquentations. C’est dans mes lointains souvenirs cependant, que se trouve l’explication
de pareille émotion. Il me semble bien qu’il était inscrit de façon indélébile
dans ma mémoire, lui et son compère Kaanga
Bongo, ancien ministre MPR et député PPRD, mort lui le 26 juillet 2006. C’est
qu’ils furent tous les deux parmi mes tout premiers contacts avec le monde
universitaire, sur les cités universitaires de Lubumbashi, en octobre 1979.
Même s’ils quittèrent le campus une année
seulement après mon admission - j’étais en premier graduat alors qu’ils étaient
en deuxième licence, en terminale donc - je les ai toujours considérés toutes
ces années comme mes ainés et leur témoignais du respect, d’autant que nous
étions tous étudiants en sciences politiques. Je me disais, à travers eux,
qu’il était possible de terminer ses études et entrer dans la vie
professionnelle pour y servir son pays. Puisque eux y sont parvenus, pourquoi
pas moi, pensais-je.
Ma première
rencontre avec eux se déroula plutôt de façon accidentelle. Encore
"bleu" sur le campus, je revenais de la Faculté des Sciences sociales
visiter les auditoires qui me serviront de salles de cours pour les cinq
prochaines années. Yoka, un ami qui était, lui, un "poil" [traduisez
"ancien sur le campus"] m’accompagnait
et me servait de guide. Sur le chemin de retour et sur ses instances, nous nous
sommes arrêtés au Bloc "K”, la résidence des étudiants la plus proche de
cette Faculté.
Mon copain était allé rejoindre quelques
vieilles connaissances dans l’une des chambres, mais j’avais refusé de le
rejoindre malgré son insistance, craignant que ceux-ci ne me maltraitent comme
c’est de coutume au début d’une année académique à l’UNILU. Mon crâne rasé
m’identifiait aisément et d’autres nouveaux autant que moi-même étions la cible
des moqueries et parfois victimes d’abus. Souvent, l’ambiance était bon enfant
mais tu ne sais jamais sur qui tu vas tomber…
Alors que j’attendais dehors, à cinq mètres
du lieu où se trouvait mon compagnon, je faisais face à une porte ouverte mais
dont les rideaux de velours rouge masquaient l’intérieur. Un homme d’une taille
moyenne en sortit, regardant sa montre dorée et guettant apparemment une
visite, tournant tantôt à gauche et tantôt à droite. Il devrait avoir dépassé
vingt-cinq ans, plutôt élégant, habillé en abacost bleu marine et ses souliers
noirs étaient bien cirés. Son visage qui brillait accusait l’usage fréquent
d’un savon éclaircissant. Il se tenait dans la véranda, mains en poches, le
menton haut, et me voyant, il sourit à la vue de ma tête rasée.
"
Cela t’a fait de la peine, hein? "
dit-il en montrant de son menton mon crâne dépourvu de cheveux. "Petit
frère ", ajoutait-il : " sache que cela est fait juste pour
t’aider à t’intégrer davantage ici. Tu verras, désormais tu te sentiras plus kassapard que jamais." Il le disait
sur un ton amical et cela me fit beaucoup de bien. Je
doutais tout de même que ce soit fait pour m’aider, ça.
Au moment où il me parlait, un autre homme le
rejoint dehors. Il était plutôt plus grand que son ami. Comme mon interlocuteur
inconnu il était très bien habillé. Il
rit de plus belle à la vue de mon crâne rasé.
"
L’an prochain c’est toi qui feras cela aux autres. D’ici peu, rassures-toi,
cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir pour toi. Nous y sommes tous passés ; et je dois t’avouer
que de notre temps, c’était pire encore. "Après ces mots, il retourna
rejoindre l’autre à l’intérieur. Comment
ne pas être marque par de tels propos ?
Entretemps
mon ami m’avait rejoint et tandis que nous allions rejoindre notre chambre
commune au Bloc "G" situé juste à deux minutes de là, j’avais hâte
d’identifier mes interlocuteurs de tout à l’heure. Peut-être étaient-ils des
autorités académiques, ou des Professeurs. En tout cas, vu leur prestance et la
qualité de leur accoutrement, ils ne pouvaient pas être tout sauf des gens
ordinaires comme moi… Je voudrais en avoir le cœur net.
"C’est qui celui-là ? "
demandai-je à mon ami, une fois que je l’avais retrouvé, faisant allusion au
plus court des deux.
"C’est
Jean-Paul Kaanga Bongo. Et l’autre, le
plus gros, c’est Isoyongo Pijos".
Je le regardais, l’air de dire que
leurs noms ne me disaient rien. " Ils travaillent tous deux pour les Services
Spéciaux. Tout le monde les craint ici, même les Profs. Il suffit d’un petit
rapport et on ne parlera plus de toi". Je me disais bien qu’ils n’étaient pas des
gens ordinaires !
" Sont-ils aussi étudiants?" demandai-je à voix basse, intimidé par la réponse
précédente.
"Bien sûr qu’ils le sont. Dans le même département des
sciences po que toi, d’ailleurs. Si tu ne veux pas avoir des problèmes, ne parle pas de politique ici.
Disons, je parle de politique contre le régime au pouvoir, quoi."
En me parlant, mon ami jetait des coups d’œil
furtifs de tous côtés pour voir si un intrus ne nous entendait pas. Ces
précautions en disaient long sur les contraintes politiques sur l’Unilu des
années 1979 à 1985. Il y avait peut-être un peu d’exagération dans les dires de
mon ami mais l’essentiel était vrai : ils n’étaient pas n’importe qui.
A
cette époque M. Vunduawe (VTP) était le Vice-recteur et critiquer le régime
mobutiste qu’ils soutenaient était la dernière chose qu’il convenait de faire
publiquement. Au mieux, vous étiez chassé de l’Université, au pire, vous
disparaitrez. L’un et autre étaient membres du comité sectionnaire du MPR
local. À cause des disparussions récurrentes des étudiants considérés comme
contre le régime, ils en vinrent à être surnommés "terroristes".
Il fallait les voir, dans cet océan de
pauvreté qu’était le campus, ils menaient une vie à part et constituaient un
ilot de prospérité et souvent les étudiants parlaient d’eux avec d’envie.
Conscients de leur position sociale, ils avaient des attitudes de gosses de
riches. De l’influence, ils en avaient également. Tel sollicitait leur
intervention pour avoir une chambre convenable ou simplement besoin d’être
"dépanné" financièrement.
Et puis il y avait des zélés mouchards qui
leur racontaient des histoires tirées de leur seule imagination afin de nuire
aux autres et gagner leurs faveurs. La
pauvreté étant le bien le mieux partagé sur les cités universitaires, tout
était permis pour faire face à la "jocole" estudiantine. Ils étaient
souvent entourés lorsqu’ils se rendaient au Grand Restaurant ou en revenaient.
Le Bloc "G" que j’habitais était sur leur passage et je pouvais les
apercevoir de ma fenêtre.
Assis
côte à côte dans la salle, il me confia que "le gouvernement utilise
beaucoup plus de juristes et économistes que des politologues. C’est une
erreur". Conscient qu’il était un flic, je me gardais d’ajouter à ses
propos, me contentant de l’écouter. Etant moi-même jeune étudiant en sciences
po et rêvant de changer le Congo et le monde à l’époque, je partageais
néanmoins entièrement son point de vue. Ces années-là, je lisais Machiavel,
Tocqueville, Mein Kampf, Adam Smith, Emile Durkheim,
et pensais que les sciences po pouvaient changer le Zaïre d’alors.
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