lundi 27 janvier 2014

Mes illusions d’étudiant s’envolent


 
Une dépêche de l’APC annonça le décès du Sénateur Isoyongo Pidios le 21 mars 2011. Fait bizarre, la disparition  de "Pijos" m’affecte beaucoup bien que de son vivant il ne fit jamais partie de mes fréquentations. C’est dans mes lointains souvenirs cependant, que se trouve l’explication de pareille émotion. Il me semble bien qu’il était inscrit de façon indélébile dans ma mémoire, lui et son compère  Kaanga Bongo, ancien ministre MPR et député PPRD, mort lui le 26 juillet 2006. C’est qu’ils furent tous les deux parmi mes tout premiers contacts avec le monde universitaire, sur les cités universitaires de Lubumbashi, en octobre 1979.

  

Même s’ils quittèrent le campus une année seulement après mon admission - j’étais en premier graduat alors qu’ils étaient en deuxième licence, en terminale donc - je les ai toujours considérés toutes ces années comme mes ainés et leur témoignais du respect, d’autant que nous étions tous étudiants en sciences politiques. Je me disais, à travers eux, qu’il était possible de terminer ses études et entrer dans la vie professionnelle pour y servir son pays. Puisque eux y sont parvenus, pourquoi pas moi, pensais-je.

  

Ma première  rencontre avec eux se déroula plutôt de façon accidentelle. Encore "bleu" sur le campus, je revenais de la Faculté des Sciences sociales visiter les auditoires qui me serviront de salles de cours pour les cinq prochaines années. Yoka, un ami qui était, lui, un "poil" [traduisez "ancien sur le campus"]  m’accompagnait et me servait de guide. Sur le chemin de retour et sur ses instances, nous nous sommes arrêtés au Bloc "K”, la résidence des étudiants la plus proche de cette Faculté.

 

Mon copain était allé rejoindre quelques vieilles connaissances dans l’une des chambres, mais j’avais refusé de le rejoindre malgré son insistance, craignant que ceux-ci ne me maltraitent comme c’est de coutume au début d’une année académique à l’UNILU. Mon crâne rasé m’identifiait aisément et d’autres nouveaux autant que moi-même étions la cible des moqueries et parfois victimes d’abus. Souvent, l’ambiance était bon enfant mais tu ne sais jamais sur qui tu vas tomber…

  

Alors que j’attendais dehors, à cinq mètres du lieu où se trouvait mon compagnon, je faisais face à une porte ouverte mais dont les rideaux de velours rouge masquaient l’intérieur. Un homme d’une taille moyenne en sortit, regardant sa montre dorée et guettant apparemment une visite, tournant tantôt à gauche et tantôt à droite. Il devrait avoir dépassé vingt-cinq ans, plutôt élégant, habillé en abacost bleu marine et ses souliers noirs étaient bien cirés. Son visage qui brillait accusait l’usage fréquent d’un savon éclaircissant. Il se tenait dans la véranda, mains en poches, le menton haut, et me voyant, il sourit à la vue de ma tête rasée.

  

 " Cela t’a fait de la peine, hein? " dit-il en montrant de son menton mon crâne dépourvu de cheveux. "Petit frère ", ajoutait-il : " sache que cela est fait juste pour t’aider à t’intégrer davantage ici. Tu verras, désormais tu te sentiras plus kassapard que jamais." Il le disait sur un ton amical et cela me fit beaucoup de bien.  Je doutais tout de même que ce soit fait pour m’aider, ça.

  

Au moment où il me parlait, un autre homme le rejoint dehors. Il était plutôt plus grand que son ami. Comme mon interlocuteur inconnu il  était très bien habillé. Il rit de plus belle à la vue de mon crâne rasé.

 
  

  " L’an prochain c’est toi qui feras cela aux autres. D’ici peu, rassures-toi, cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir pour toi.  Nous y sommes tous passés ; et je dois t’avouer que de notre temps, c’était pire encore. "Après ces mots, il retourna rejoindre l’autre à l’intérieur. Comment ne pas être marque par de tels propos ?

Entretemps mon ami m’avait rejoint et tandis que nous allions rejoindre notre chambre commune au Bloc "G" situé juste à deux minutes de là, j’avais hâte d’identifier mes interlocuteurs de tout à l’heure. Peut-être étaient-ils des autorités académiques, ou des Professeurs. En tout cas, vu leur prestance et la qualité de leur accoutrement, ils ne pouvaient pas être tout sauf des gens ordinaires comme moi… Je voudrais en avoir le cœur net.

 

    "C’est qui celui-là ? " demandai-je à mon ami, une fois que je l’avais retrouvé, faisant allusion au plus court des deux.

 

"C’est Jean-Paul Kaanga Bongo. Et l’autre, le plus gros, c’est Isoyongo Pijos".  

 


Je le regardais, l’air de dire que leurs noms ne me disaient rien. " Ils travaillent tous deux pour les Services Spéciaux. Tout le monde les craint ici, même les Profs. Il suffit d’un petit rapport et on ne parlera plus de toi". Je me disais bien qu’ils n’étaient pas des gens ordinaires !

 

 " Sont-ils aussi étudiants?" demandai-je à voix basse, intimidé par la réponse précédente.

 

  "Bien sûr qu’ils le sont. Dans le même département des sciences po que toi, d’ailleurs. Si tu ne veux pas avoir des  problèmes, ne parle pas de politique ici. Disons, je parle de politique contre le régime au pouvoir, quoi."  

   

En me parlant, mon ami jetait des coups d’œil furtifs de tous côtés pour voir si un intrus ne nous entendait pas. Ces précautions en disaient long sur les contraintes politiques sur l’Unilu des années 1979 à 1985. Il y avait peut-être un peu d’exagération dans les dires de mon ami mais l’essentiel était vrai : ils n’étaient pas n’importe qui.

 

 A cette époque M. Vunduawe (VTP) était le Vice-recteur et critiquer le régime mobutiste qu’ils soutenaient était la dernière chose qu’il convenait de faire publiquement. Au mieux, vous étiez chassé de l’Université, au pire, vous disparaitrez. L’un et autre étaient membres du comité sectionnaire du MPR local. À cause des disparussions récurrentes des étudiants considérés comme contre le régime, ils en vinrent à être surnommés "terroristes".     

 

Il fallait les voir, dans cet océan de pauvreté qu’était le campus, ils menaient une vie à part et constituaient un ilot de prospérité et souvent les étudiants parlaient d’eux avec d’envie. Conscients de leur position sociale, ils avaient des attitudes de gosses de riches. De l’influence, ils en avaient également. Tel sollicitait leur intervention pour avoir une chambre convenable ou simplement besoin d’être "dépanné" financièrement.

 

Et puis il y avait des zélés mouchards qui leur racontaient des histoires tirées de leur seule imagination afin de nuire aux autres et  gagner leurs faveurs. La pauvreté étant le bien le mieux partagé sur les cités universitaires, tout était permis pour faire face à la "jocole" estudiantine. Ils étaient souvent entourés lorsqu’ils se rendaient au Grand Restaurant ou en revenaient. Le Bloc "G" que j’habitais était sur leur passage et je pouvais les apercevoir de ma fenêtre.

 
J’eus un deuxième contact personnel avec M. Kaanga à la suite d’une conférence à laquelle nous avions tous les deux assistés au Bâtiment du Trente juin, dans le quartier résidentiel de Lubumbashi.


 Assis côte à côte dans la salle, il me confia que "le gouvernement utilise beaucoup plus de juristes et économistes que des politologues. C’est une erreur". Conscient qu’il était un flic, je me gardais d’ajouter à ses propos, me contentant de l’écouter. Etant moi-même jeune étudiant en sciences po et rêvant de changer le Congo et le monde à l’époque, je partageais néanmoins entièrement son point de vue. Ces années-là, je lisais Machiavel, Tocqueville, Mein Kampf, Adam Smith, Emile Durkheim, et pensais que les sciences po pouvaient changer le Zaïre d’alors.

 
Mais avec le temps, en grandissant, je changeai d’avis. Ce n’étaient que des illusions d’étudiant. Plus tard Kaanga Bongo fût ministre et député. Si j’appréciais sa démarche et sa rigueur intellectuelle dans ses interventions, ses choix politiques étaient aux antipodes de mes convictions personnelles. Venant des Sciences po ou non, ils ont tous les deux eu le parcours "normal", pas très différent de n’importe quel autre politicien congolais. La mort de l’un et l’autre s’apparente bien à la fin de mes illusions d’étudiant, et sans doute à mon rêve de vouloir changer le monde …

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