Partis de Goma le 02/08/1998 dans une opération commando digne de James
Bond qui les fit atterrir à Muanda, les rebelles de RCD font bientôt vaciller
le gouvernement du président Laurent-Désiré Kabila.
Déjà, ils étaient aux portes de Kinshasa. Beaucoup auraient pensé que bientôt,
comme un fruit mûr, le pouvoir de l’AFDL allait tomber. C’était sans compter
avec la diplomatie agissante de "Mzee" qui fit appel en dernière
instance aux troupes angolaises et zimbabwéennes qui réussirent à lui tirer d’affaire.
Ce récit, tiré de mes notes, se rapporte à l’arrivée de l’armée angolaise à
Matadi. Le hasard des circonstances a fait que j’étais témoin oculaire.
Mercredi 2
septembre 1998. Il est 04h30 heures
locale au quartier Sud dans la commune de Mvuzi, faubourg de la ville de
Matadi, chef-lieu de la province de Bas-Congo, à 350 km à l’Est de Kinshasa et
laquelle a pour voisin la République d’Angola. Dans l’obscurité épaisse un pneu
achève de se consumer en répandant aux alentours, sous l’effet de la brise qui
souffle, l’odeur nauséabonde du caoutchouc brûlé tandis que la lueur du feu
éclaire à peine les visages d’une demi-douzaine de jeunes gens assis en
cercle de part et d’autre du pneu.
C’est le
quinzième pneu en trois jours de veille. A un jet de pierre de là, on peut
apercevoir, gisant en pleine rue, en plusieurs tas, de la cendre et de ressorts
enchevêtrés : voilà ce qui reste de planches et pneus brûlés, témoins
silencieux du ras-le-bol d’une population traumatisée. Peu avant, l’un des
jeunes veilleurs dit à ses compagnons, les uns et les autres aussi jeunes que
lui, en brandissant le pouce en signe de satisfecit: "Après tout, ils
ne viendront plus à pareille heure ; notre présence les a retenus une fois
de plus ! " avant de s’affaler sur sa chaise longue, vaincu par
le sommeil.
« Ils »,
ce sont les éléments de FAPLA (Forces Armées Populaires de Libération Angolaises
en sigle), entrés dans la ville de Matadi vendredi 28 août aux environs de 14
heures sur l’appel de leur allié, le gouvernement rd congolais de l’AFDL
afin de l’aider à faire face aux rebelles de RCD qui étaient sur le point de renverser
le pouvoir ! Et aussitôt l’Armada angolaise marcha respectivement
sur les différentes localités du Bas-Congo telles Banana, Muanda, la base
militaire de Kitona (Baki) et Boma presque sans combattre avant
d’atteindre Matadi, déjà vidé par les troupes rebelles, lesquels,
selon leur porte-parole Arthur Zahidi Ngoma avaient effectué un
" repli stratégique ". Langue de bois. Concrètement,
ils avaient battu en retraite devant la redoutable machine de guerre angolaise
rôdée par presque une vingtaine d’années de guerre civile.
Pendant
trois jours d’affilée et sans état d’âme, les troupes angolaises étaient
les nouveaux maîtres absolus de Matadi. Pas étonnant que les actes barbares les
plus sordides aient lieu entre-temps : viols et pillage des biens
notamment, suscitant du même coup l’effroi d’abord, la colère ensuite dans le
chef de la population de Matadi.
Le scénario
était à quelques exceptions près le même : par groupe de trois à six, les
soldats pénétraient dans une parcelle en forçant les portes et
s’enquerraient aussitôt s’il y avait des « rwandais » ou des
« soldats de Mobutu » dans la maison avant de passer à '
l’essentiel ' : « dollars ! », « dollars ! »
ou « radio ! », « radio ! » vociféraient-ils,
l’air menaçant avant qu’ils n’emportent tout ce qu’ils pouvaient
emporter, les appareils électroménagers étant les plus prisés parmi les
gadgets. Sans oublier les espèces sonnantes bien sûr. C’est par
onomatopée qu’ils s’adressaient à leurs victimes compte tenu de la difficulté
de communiquer, le portugais n’étant pas parlé par la population locale. Peu
après 'le butin' allait prendre place à bord d’un camion militaire stationnant
non loin de là, au bord de la route, avant qu’un autre groupe de soldats
angolais ne vienne se servir, bis repetita…
Certains
ont eu moins de chance. Après avoir été victime de pillage de leurs biens le
même jour une ou deux fois, qu’un autre groupe de soldats arrive, cherchant à
se servir et ne trouve rien et c’est le drame. Malheur aux femmes et jeunes
filles. Certaines furent violées en série, les plus sadiques des soldats
angolais obligeant maris et enfants non seulement à assister à leurs orgies
mais poussant le culot à les sommer … d’applaudir, sous la menace d’arme de
guerre !
Telle une
traînée de poudre, l’onde choc se répandit dans tous les quartiers de Matadi,
de Damar à Kinkanda, de Mvuadu à Ville Basse, de Trabeka au Sud, de Nzanza
jusqu’au quartier Nord. Le mécontentement était perceptible, quoique mêlé à la
peur et à l’impuissance de ne pouvoir être protégé par personne, les services
de l’Etat étant quasi inexistants. Et encore … Inutile donc de demander quel
était le sujet de conversation qui se chuchotait à Matadi au lendemain de
ces événements des 28, 29 et 30 août 1998 …
Ne sachant
que faire, de nombreuses femmes et jeunes filles déménagèrent, fuyant les
quartiers exposés comme Kinkanda ou Mvuadu, d’accès facile car longeant
la voie principale d’où venaient les militaires angolais. Même ceux qui étaient
éloignés des routes étaient prudents comme ce père de famille du quartier
Ville Basse qui avoua : " J’ai interdit à ma femme ainsi qu’à
mes filles toute sortie. A la maison ce sont les garçons et moi-même qui
faisons des courses ".
Dans la
foulée se constituèrent des groupes d’autodéfense dès le 31 août dans les
différents quartiers de la ville afin d’assurer la sécurité des personnes et
des biens. La consigne leur donnée était claire : ils veilleraient toute
la nuit sur des tronçons de route en brûlant les pneus et en chantant et dès
que le premier camion angolais s’annonçait au loin, se mettre tout de
suite à siffler, taper sur des casseroles et l’écho de ce vacarme provoquerait
un concert de sifflets de tous les groupes d’autodéfense disséminés dans la
ville, ce qui dissuaderaient les soldats angolais d’agir et de rebrousser
chemin. On va voir ce qu’on va voir.
Il n’était
pas de quartier où cette disposition n’était prise. L’objectif affiché :
" faire peur aux angolais en leur rappelant qu’ils ont
dépassé les limites de l’intolérable ", nous explique un de ces
jeunes. Un autre ajoute, plein de témérité : " s’ils osent
s’aventurer dans mon quartier nous ne nous laisserions pas faire cette
fois-ci ". Le sentiment de n’avoir plus rien à défendre que
leur dignité était le plus fort et ce devant l’une des armées les plus
redoutables du continent. David contre Goliath. L’instinct de survie
avait uni ces populations souvent divisées par des conflits d’ordre
tribal : du coup une solidarité locale vit le jour : ceux qui ne
pouvaient aller faire la veille contribuaient de bien de manières : qui
par l’argent, qui avec du café, tel autre prêtait chaises ou poste de radio, un
autre des vieux pneus inutilisables, etc.
Que
resta-t-il du passage de cet « ouragan » qu’ont été les soldats
angolais à Matadi ? Des graffiti, de l’amertume au cœur, la peur au
ventre et la honte. « Vista para FAPLA »*. Tracé avec la
braise aux murs de certaines maisons du quartier Mvuadu par quelque militaire
angolais, probablement par défi ou pour indiquer à d’autres groupes de soldats
qui s’aviseraient de passer par là que 'le travail' avait déjà été fait en
cette maison, prière d’aller tenter ailleurs … Tout un programme. Ces graffiti
rappelèrent à nombre d’habitants ces événements tragiques des 28, 29 et
30 août 1998.
L’amertume
pour ceux des matadiens ayant perdu quelque bien, s’ils n’ont pas fait
carrément faillite, leurs économies ayant fondu comme neige au soleil. Peur au
ventre qu’inspire encore la présence du soldat angolais auprès de commerçants
ambulants qui écoulaient facilement des radiocassettes avant leur arrivée mais
qui désormais, hésitaient d’exposer leur marchandise de peur qu’on ne leur
prenne sans rien payer. La honte enfin pour les parents ou des victimes des
viols. On cite volontiers le cas de cette mère de famille respectable qui s’est
enfermée depuis chez elle, ne voulant voir personne, se sentant
« salie » et « indigne ». L’un de ses voisins la décrit
comme « ankylosée, déconnectée de la réalité ». Un
homme à la quarantaine déclare : « Je connais des pères de famille
qui ne peuvent plus fixer leur épouse ou filles dans leurs yeux après les avoir
vues violées ». Les plaies sont encore fraîches. Et indélébiles.
Mercredi 2
septembre, monsieur FUKA UNZOLA, Gouverneur de la Province relativise ces
événements dans un message lu sur l’unique chaîne de télévision privée
locale, RTM (Radio Télévision Matadi). Pour lui il s’agit des
" actes isolés qui n’engagent ni l’armée ni le gouvernement
encore moins le peuple frère angolais ", selon la formule
consacrée. Et langue de bois en plus.
Cependant,
d’aucuns se demandent si des faits répétitifs, étalés sur trois jours et ayant
nécessité des moyens visibles (va-et-vient des camions chargeant et déchargeant
le « butin » de guerre) de la part d’une armée officielle et
s’étant déroulés jour et nuit peuvent être qualifiés d’ « actes
isolés ». A moins que ce ne soit une manière de faire baisser la
tension qui risquait de mener à un affrontement ouvert entre les jeunes membres
de groupes d’autodéfense et les troupes angolaises.
« Conséquence
de la mobilisation » pour les jeunes matadiens, « simple
coïncidence » pour les autorités, on a noté que non seulement les
patrouilles angolaises se faisaient discrètes mais un bataillon des PIR (Police
d’Intervention Rapide) est venu de Kinshasa relever les soldats angolais. Ainsi donc, les FAPLA ont courbé l’échine face aux mains nues des jeunes
matadiens. L’Histoire s’en rappellera-t-elle ?
[*]En portugais, terme signifiant : " les troupes des
forces armées angolaises sont passées par ces lieux ".
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