" Venons 2
kité L’shi. Ds 2 hr donc, Charlie."
Le sms envoyé, Tito fixa son portable jusqu’à ce que s’y
affiche le "message reçu " traditionnel. Il jeta alors un dernier regard sur l’aéroport
de Luano qu’il quittait après une courte escale en provenance de Kinshasa.
De son hublot, il ne lui était pas difficile de s’apercevoir
qu’en cinq ans d’absence, beaucoup de choses n’avaient pas changées : la même peinture blanche sur
les murs, les mêmes bâtiments, et les mêmes hangars aux tôles ondulées bordant l’aéroport
où lui et sa famille s’abritèrent peu avant de quitter la ville.
Au décollage, il éteignit son téléphone et attacha sa
ceinture selon les directives du commandant de bord avant de renverser son dos sur le dossier de
son siège.
"Plus que
deux heures de vol et je serai à Jobourg ! ", murmura-t-il, après
un coup d’œil à sa montre.
Alors que le Boeing 737 de SAA survolait la cheminée de
l’ex- Gécamines, il sentit à quel point tout ici lui rappelait son passé. En l’espace
de quelques instants, il était partagé entre la mélancolie et la joie de revoir les lieux.
C’est ici même, à l’hôpital Sendwe, qu’il vint à la vie
voici 25 ans. Né d’un père mineur à la Gécamines et d’une mère enseignante. L’école
primaire et secondaire, c’était ici qu’il les fit, au Collège Imara. Douze années
de joie et de rêve. Quand arrivèrent les années de crise économique, la Gécamines
se défit de milliers d’ouvriers dont son père. Une galère de trois ans prit fin
lorsqu’il trouva un travail de chauffeur de bus sur la route Lubumbashi-Likasi.
Cet homme qui fréquenta le petit séminaire catholique durant
son enfance ne cessait de répéter à son
fils ces paroles : "dans la vie, seulement
trois choses importent: crains Dieu, respecte tes parents, et ne néglige pas l’école.
Ne l’oublies pas, si tu tiens à réussir ta vie et à ne pas avoir des problèmes
avec d’autres".
Tito a tenté, tant bien que mal, à en faire le socle de
sa vie. Il s’est beaucoup attaché à ses parents jusqu’à ce qu’un accident
tragique sur la route de Likasi n’emporte son père, par un jour de pluie. L’année
même où il terminait ses études secondaires.
Dépêché par sa famille sur place afin d’identifier le
corps, ce fut un choc pour le jeune homme de voir que toutes les victimes,
vingt au total, avaient été dépouillé de tous leurs biens par on ne sait pas
qui: montres, bijoux, passeports, lunettes, bagages, argent, etc. ! Les
corps sans vie des victimes étaient déplacés loin du site d’accident, laissant
une trainée de sang sur une distance d’environ 10 mètres. A la tristesse consécutive
au décès de son père s’ajouta l’indignation de ces actes vils.
Autre moment de déchirement pour le jeune homme dans
cette ville, "la chasse des Kasaïens"
initiée par un groupe extrémiste local, qui intervint peu après la mort de son père.
Sur papier il était originaire du Kasaï, au centre de la RD Congo, mais c’est
ici qu’il a menée toute sa vie. Du Kasaï, il ne connait presque rien. Mais les
circonstances lui ont rappelé à ses dépens que cela ne suffisait pas. C’est in extremis que sa famille eut la vie
sauve, lorsqu’un responsable militaire local, pris de pitié pour les orphelins
de père qu’ils étaient, les mit dans un avion militaire en partance pour Kinshasa.
Partis précipitamment comme beaucoup d’autres, ils laissèrent derrière eux le
peu de biens qu’ils avaient acquis sur place. Et des souvenirs aussi.
Kinshasa, la capitale du pays, ce n’était pas seulement
un saut vers l’inconnu pour eux. En comparaison avec Lubumbashi, c’était aussi une
ville immense, la chaleur, le bruit, les moustiques, une morale relâchée, apprendre
une autre langue, des nouvelles habitudes.
C’est ainsi qu’à 19 ans, sa vie changea du tout au
tout. Très vite, il lui fallait apprendre à combler le vide créé par la disparition
de son père. Plus beaucoup de promenade ni passer de longues heures avec ses
amis. Sa place était à la maison : aider ses deux jeunes sœurs et son frère cadet à faire leurs devoirs
scolaires, repasser leurs habits, donner des cours supplémentaires pour payer
ses frais académiques, veiller à ce que ses sœurs et son frère ne soient entrainés
par la vie effrénée de la capitale congolaise. Pendant les vacances, il travaillait
comme taximan. C’est ainsi que, bon an mal an, au prix de sacrifices énormes,
il acheva ses études d’économie à l’Université de Kinshasa au bout de cinq ans.
oooooooooooOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOoooooooooooooooooooooooooo
Plus l’avion s’élevait et que disparaissait Lubumbashi
sous les nuages, plus il eut l’impression de laisser une partie de lui-même derrière
et de faire un autre saut vers l’inconnu, vers Johannesburg. En Afrique du Sud,
il va falloir vivre dans un autre pays, apprendre une autre langue et
certainement apprendre de nouvelles habitudes.
"Tiens,
tiens, comme la vie est un éternel recommencement ! " dit-il.
Le stress d’aller vers une terre inconnue était atténué
par le fait qu’il se savait attendu par son cousin Charles, 30 ans. Au moment où
la plupart de Kasaïens fuyaient la ville à cause des menaces extrémistes, ils
ont pris chacun une direction opposée. Tito et sa famille se sont rendus à
Kinshasa. Quant à Charles et Prisca sa femme, ils ont préféré demander l’asile en Afrique du Sud.
Depuis cinq ans, il s’est établi à Johannesburg et y travaille dans une
entreprise d’ingénierie civile.
Il y a deux ans que Tito a fait part à son cousin de
son désir de vouloir poursuivre sa formation en Europe une fois ses études d’économie
terminées à l’UNIKIN (Université de Kinshasa) . Son cousin Charles lui suggéra par contre de rester sur le continent Noir et tenter sa
chance en Afrique du Sud. "Ainsi tu
serais proche de la famille au pays", lui avait-il dit, ce qui parut
pratique au jeune homme. Pendant deux ans il a travaillé dans la soirée et les
jours de repos comme chauffeur pour se faire quelques économies afin de
supporter ses études au pays de Mandela.
Il était encore perdu dans ses pensées que déjà le
pilote amorçait la descente sur l’aéroport international A R Tambo de
Johannesburg. Jetant son regard en bas, il fut impressionné par l’urbanisme du
quartier Benoni qui avoisine l’aéroport. Du coup, il eut un avant- goût de ce
qui l’attendait : un pays en tout point différent du sien.
Une fois débarqué de l’avion, il s’attendait à
rencontrer Charles comme convenu, mais il n’en fit rien. Il se rabattit sur le téléphone
mais aucun de ses dizaines d’appels passaient. Même les messages sms ne
parvenaient plus à son destinataire. Surpris et déçu, Tito résolut de s’asseoir
sur l’un des sièges de velours rouge disponibles dans la salle d’attente.
Une heure passée et
autant de tentatives vaines de joindre son cousin dont le téléphone
semblait être fermé. Tous les passagers du vol QL 1756 de SAA Airways avaient terminé
les formalités d’arrivée et quitté l’aéroport à présent. Sauf lui.
C’était le troisième policier sud-africain dans son traditionnel
uniforme bleu avec un gilet pare-balles. Comme les autres, il lui demande ce qu’il
attendait là. Ensuite son passeport et visa. Et, comme s’ils s’étaient passé le
message, il le toise de la tête aux pieds, avant de disparaitre. L'historique du téléphone lui-même
témoignait de ses nombreuses tentatives de joindre son cousin. Maintenant ce ne
sont plus les policiers qui viennent vers lui, des fonctionnaires en civil s’y
sont mis aussi.
Débarqué de l’avion à 18h00, il était à présent 20h00
et le jeune homme, après avoir envoyé un énième message qui n’arrivait pas non
plus à destination et tenté des appels qui ne passaient pas, décida d’éteindre
son téléphone.
C'est alors que l’un des policiers qui l’avaient interrogé auparavant
revint vers lui. Après l’avoir de nouveau écouté, il lui
confia sur un ton presque de confidence: " Mon petit, laisse-moi
te dire la vérité : quand celui qui devrait t’attendre ne répond pas au téléphone,
c'est que soit il n’est plus en vie ou qu'il ne veut pas simplement répondre !"
Il s'en alla comme il était venu, laissant le jeune homme pensif.
Il s'en alla comme il était venu, laissant le jeune homme pensif.
(A suivre : "Bonjour Jobourg !")